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De l’étendue du devoir de conseil du maître d’œuvre

Françoise HECQUET, Romain BRUILLARD
26/01/2016

Dans un arrêt récent à paraitre au bulletin (15 octobre 2015, pourvoi n° 14-24.553), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a retenu la responsabilité d’un maître d’œuvre pour ne pas avoir consulté le titre de propriété du maître de l’ouvrage, ce qui lui aurait permis de déceler une servitude de vue bénéficiant au voisinage.

La Cour de cassation a donc approuvé l’arrêt attaqué d’avoir condamné le maître d’œuvre in solidum avec le notaire à garantir le maître de l’ouvrage des conséquences de la démolition du bâtiment qui avait été demandée par son voisin bénéficiant de la servitude.

Bien que sévère, cette solution n’est pas surprenante. En effet, si pendant un temps, le devoir de conseil de l’architecte paraissait restreint à son domaine de compétence, la jurisprudence n’a eu de cesse que de l’étendre et impose dorénavant au maître d’œuvre d’être un financier et un juriste en plus d’être un professionnel de la construction afin qu’il puisse s’assurer de la faisabilité juridique et financière du projet qu’il élabore.

L’arrêt commenté s’inscrit ainsi dans ce courant jurisprudentiel en reprochant au maître d’œuvre de ne pas avoir décelé l’existence d’une servitude conventionnelle conduisant à la destruction du projet qu’il a conçu.

Si la Cour de cassation avait déjà pu retenir une telle solution (Civ. 3e, 15 décembre 2004, pourvoi n° 03-17.070 ; Civ. 3e, 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-17.639), elle franchit une étape supplémentaire en imposant au maître d’œuvre d’aller consulter le titre de propriété du maître de l’ouvrage.

En effet, dans les arrêts précédents, c’est la disposition des lieux qui aurait dû conduire l’architecte à s’interroger sur l’existence d’une servitude. Or, en l’espèce, outre la disposition des lieux, le principal grief qui lui est fait est de ne pas avoir consulté le titre de propriété.

Il est pourtant manifeste qu’obliger le maître d’œuvre à opérer une telle vérification d’un acte notarié dépasse manifestement son champ de compétence. D’autant qu’à la lecture de l’arrêt d’appel, il apparait que le titre de propriété était loin d’être clair. L’architecte n’a pas vocation à se substituer au notaire.

Il ne faudrait pas que l’obligation imposée à l’architecte de s’assurer de la faisabilité de son projet devienne une obligation de garantir le maître de l’ouvrage de toute atteinte à son bien.

L’architecte n’est pas omniscient et son devoir de conseil doit s’apprécier selon la mission qui lui est confiée et son domaine de compétence.